Catherine Tourette-Turgis : le pouvoir d’agir des patients

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Interview de Catherine Tourette-Turgis

Solidarum : L’approche capacitaire que vous défendez est-elle une réponse au manque de considération que les patients peuvent ressentir dans la relation de soin ?

CatherineTourette-Turgis : Le problème de l’attention à l’autre dans la relation de soin et dans la relation au système de santé en général est le même que celui que nous rencontrons dans l’enseignement : l’organisation verticale. C’est-à-dire qu’on décide pour l’autre. L’autre est forcément quelqu’un qui a besoin de moi, qui est vulnérable, qui est faible, et d’ailleurs forcément en dessous. Je dois donc penser à sa place… L’idée de l’approche capacitaire est de renverser la situation et de dire « pensons ensemble ». On a besoin les uns des autres, mais dans les deux sens. À l’Universitédespatients, une étudiante m’a dit le jour de la remise des diplômes : « Ici, on nous regarde à niveau égal, d’œil à œil, on n’est pas en dessous et vous ne vous mettez pas au-dessus… » Que les personnes vulnérables se sentent reconnues d’égal à égal, c’est l’un des objectifs des parcours diplômant de l’Universitédespatients.

Quel est le sens de votre engagement auprès des personnes vulnérables ?
Je me suis engagée dans la lutte contre le Sida dans les années 1984-85 et j’ai passé vingt ans comme engagée volontaire dans ce combat contre la maladie. Dans le VIH/Sida, ce sont les malades qui ont eu des idées de conception d’essais cliniques. Ils se sont mobilisés pour faire avancer la recherche de traitements, pour obtenir des financements, pour inventer des dispositifs de prévention, etc. Finalement, c’est à cette époque-là que j’ai pris conscience que les malades faisaient partie de la solution, que ce n’étaient pas eux le problème. Pour le dire autrement, il n’y a pas de malades à prendre en charge, mais des malades à prendre en compte. Personne n’a de malades en charge, cela serait bien trop lourd, mais tout le monde a des malades à prendre en compte. Ce compte est universel et n’a rien à voir avec les règles comptables. L’enjeu est d’arrêter de voir le malade comme déficitaire, de stopper les approches par le déficit, donc de développer les approches par les capacités, ce qui suppose de mobiliser les capacités du malade à faire face, comme il le peut, comme il l’entend aussi, à ce qui lui arrive.

Cela rejoint-il le concept d’empowerment ?
Le concept d’empowerment vient des luttes pour la reconnaissance des droits civiques, des luttes des femmes, des luttes des minorités. Il est à présent mis à toutes les sauces et il a été amputé du concept de disempowerment. Les institutions ont ceci de particulier qu’elles sont plutôt disempowering, c’est-à-dire qu’elles enlèvent justement le pouvoir d’agir. Donc remettre de l’empowerment sans analyser le pouvoir de disempowerment des institutions, ça ne m’intéresse pas. Avec les approches capacitaires, il s’agit de faire l’hypothèse que toute personne, même vulnérable, même malade, même en fin de vie, a des capacités, et d’arriver à conceptualiser que ce que les malades conduisent tous les jours, en silence, chez eux, en ambulatoire, pour se maintenir en vie et en santé, est un travail contributif. En fait, si je voulais choquer, je dirais que le patient n’est pas un bénéficiaire du soin, mais un opérateur parmi d’autres de la division du travail médical. Le patient fournit un travail médical, un travail autobiographique, un travail de communication, d’auto-soignant, de gestion des incertitudes, etc.

Sous ce regard, comment expliquer la lenteur de l’évolution du système de santé ?
Sans doute par l’organisation administrative du soin, par la codification des soins et le fait qu’il n’y a plus de place pour l’écoute de l’autre, ce qui fait souffrir tout le monde, les soignants comme les personnes en soin. Mais la modification des trajectoires thérapeutiques et la prise en compte de la notion de rétablissement nous offrent l’opportunité de changer l’organisation des soins. On constate de plus en plus de phases de stabilisation, donc on risque d’être malade chronique longtemps, mais différemment. Il va en découler une autre exigence vis-à-vis du milieu de soin, qui ne pourra plus s’occuper uniquement de la maladie, mais aussi de la qualité de vie et de survie du malade. Il deviendra plus évident de considérer les patients comme des cocréateurs du soin et non uniquement comme bénéficiaires, et reconnaître leur expérience afin d’aider à l’amélioration globale du système de santé.

Retrouvez l’interview complète de CatherineTourette-Turgis dans le numéro 3 de la revue Visions solidaires pour demain, autour de l’attention à l’autre, disponible en librairie ou en ligne. À consulter aussi : l’interview en vidéo de CatherineTourette-Turgis et le reportage vidéo sur l’Universitédespatients dans solidarum.org, base de connaissances pour l’invention sociale et solidaire actualisée chaque semaine, avec des interviews et des reportages en France et partout dans le monde.

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